Chambre de Dante

Une main tordue qui s'approche de son cou. Sous la peau, les veines qui palpitent, le sang qui circule. Curieusement, on en oublie l'existence jusqu'au jour où une main tente d'empêcher ce sang de monter et de descendre au rythme imposé par le cœur... Pourtant, Coleen ne recula pas, il laissa le vampire mordu enserrer son cou, comme si s'agissait d'une douce caresse, faisant naitre une ébauche de sourire voilée par la pénombre. La sècheresse d'un amour incompris, d'une folie permanente qui le rongeait comme un chien. Un chien qui lui rongeait les os, lui arrachait la chair, lui aspirait la moëlle... un chien du nom de Dante... auquel il s'était senti si attaché que l'idée même d'en être séparé lui était devenu insupportable... parce que dorénavant, c'est le maitre qui se trouvait en laisse...

Un léger soupir s'arracha des lèvres de l'aîné des deux vampires.
Un soupir las ou languissant? Qui sait?

"Vas-y, tue-moi donc si ça te soulage."

Faire don de sa personne?
Certainement pas. Un désir égoïste seulement, juste un de plus. Mourir des mains de Dante, le faire crever de désespoir. C'était d'une infinie poésie que cette pensée, et d'une infâme beauté aussi. Des excuses, encore et toujours des excuses, pour expliquer cette étrange passion qui le hantait nuit et jour depuis leur rencontre dans cette forêt... LA Passion, avec un grand P majuscule, un amour haineux, un tendre mépris de l'autre...

Tant de caresses peuvent être mortelles, mais Dante ne voulait pas de tendresse dans ces gestes. Juste la mort. Si fragile le cou entre ses doigts si immobile ce corps loin et pourtant si proche…
Des mots. Le tuer ? Tant de fois il l’avait voulu, tant de fois il le voulait encore… Pour certains, il n’y a que la haine qui existe. L’amour est-il si facile à oublier ? Bien sûr, tout comme la culpabilité.

« Te tuer ? »

Une question presque inaudible. Un coup de couteau dans la gorge. Douleur. Evidemment, il avait besoin de boire. Et cette veine qui l’appelait, le dégoûtait. Les doigts tremblèrent un instant contre la chair. De la peur ? Non, une terreur presque enfantine, celui du seul crime qu’il ai regretté, qu’il ai pleuré, celui du seul qu’on lui ai pardonné.
La main glissa lentement le long de la peau tandis que Dante tombait à genoux. Trop de choses cachées dans les recoins de son esprit, trop de poison pour cicatriser, trop de tristesse cachée. Bien trop cachée…
Etre perdu sur la route la plus longue, sur la voie la plus obscure…

« Et comment faire mourir quelqu’un que je méprise ? »

Une voix rauque, pareil au grognement d’un loup, un rire qui veut sortir mais reste coincé. Bien trop mal.

Un sourire tordu, une drôle de grimace, étira le visage de Coleen de manière obscène et grotesque devant une telle effusion de pathos. Non, il ne se rirait pas, il ne se moquerait pas de Dante... néanmoins, il ne comprenait pas son attitude. Fragile comme il l'était, il aurait déjà pu le tuer de trois manière différentes si il l'avait voulu... cette situation était absurde. Avec un petit reniflement de mépris, il jeta un regard dur et froid à son cadet.

"Tu connais au moins une centaine de façons de tuer un vampire comme moi", lui répondit-il sans détour.

Agacé, il attrapa Dante par un bras et le releva, sans brusquerie, mais sans douceur non plus. Cet être fragile à ses pieds, était-il vraiment l'homme qu'il avait connu? Le fils qu'il avait élevé? L'amant qu'il avait embrassé? Il ne le reconnaissait plus, plus du tout. Qu'avait-il donc bien pu se passer pendant ces longues années pour le changer à ce point? Qu'il le méprise, ça ce n'était pas nouveau... mais qu'il s'écroule au sol en le disant, ça ne lui plaisait pas outre mesure...

Lâchant le bras de son cadet et prêt à lui décocher un coup de soufflet, il leva la main et la laissa suspendue en l'air un moment qui lui sembla durer trois millénaires tandis que quelque part dans sa tête, un voile se déchira brusquement, dans toute sa splendeur, et le laissa paralysé, le souffle coupé, suspendu dans son geste.

Une centaine de façons de le tuer. Oui, oui il les connaissait…et pourtant tout s’embrouillait dans son esprit desséché. Il savait tout ça, il avait déjà essayé plusieurs fois de tuer Coleen, avec les mauvaises méthodes évidemment… Et son aîné connaissait lui-même d’innombrables manières de le tuer, lui.

« La tête, le cœur… »

L’autre le releva soudain. Dante vit la main se lever. Ses propres doigts se refermèrent alors sur le poignet de l’autre. Mais le coup ne vint pas. Quelque chose… Comme si le temps ne coulait plus, que les aiguilles restaient immobiles. Il n’avait qu’un œil pour voir, un œil dardé sur Coleen. Insensible.
Avait-il mal, ce fier vampire devant lui ? Souffrait-il ? L’homme ricana, saisissant ce Coleen immobile par les cheveux, les tirant avec force.

« Un vampire faible ne peut que créer quelque chose de faible…Je suis la marque de ta propre déchéance. Je te tuerais oui, je te tuerais… »

Vouloir le jeter à terre, songer à le rouer de coup. Et puis là, tout au fond de sa tête, un souvenir. Quelque chose en noir et blanc, de presque oublié, quelque chose à brûler. Souvenir d’une main dans les cheveux, souvenir d’un baiser…