Jeu d'échec...

[Jardin]

Toujours accroché au bras de son amant, Lucasyne le suivit jusqu’au salon où ils s’installèrent autour de l’échiquier.
Les échecs n’étaient pas le jeu favori de Lucasyne, bien au contraire. Bien qu’il permette une gymnastique du cerveau assez intense, il avait assez tendance à ennuyer le vampire.
Mais cette fois-ci, l’enjeu était de taille…

Il s’installa donc sérieusement en face de Vadim et observa chacun de ses pions. En chacun d’eux reposait une possibilité de gagner… Et il gagnerait. Même si la presque totalité de ses pièces étaient mangées, il pouvait toujours gagner.
Les échecs avaient quand même du bon pour cela…

« Alors, mon cher, quelle couleur veux-tu jouer ? »

Il voulait gagner… Il avait tant de chose à faire faire à Vadim… Tellement de choses…

Vadim s’installa en face de Lucas et coula un regard presque attendri à l’échiquier. Les pièces étaient particulièrement belles, sculptées dans un bois de bonne qualité et peintes avec une précision presque surnaturelle. L’ouvrage était magnifique –bien que simple au premier abord- c’était certain.
Le compte prit un petit cavalier noir dans sa main et regarda Lucasyne.

« Je te laisse les blancs »

Ainsi, il accordait à son amant un coup d’avance de cette manière. Reposant la pièce qu’il tenait sur la case adéquat, Vadim se cala bien confortablement dans son siège et attendit donc ce qu’allait faire son amant.
L’envie de le laisser gagner lui chatouillait le bout des doigts. Doigts qui vinrent caresser le dos de la main de son amant dans un geste doux. Vadim porta la main à la hauteur de son visage et y posa ses lèvres une fraction de secondes avant de finalement la reposer. Il plongea ses yeux dans ceux de Lucasyne

« Gagne … »

La dernière parole de Vadim n’était pas nécessaire. Lucasyne était bien décidé à gagner, bien entendu. Il fit un sourire à son vis-à-vis en bougeant sa première pièce, un simple pion. Souvent insignifiant, mais parfois mortel pour le Roi...

Un silence complet, quasi-religieux tomba dans la pièce, uniquement troublé par le bruit des pièces bougées une par une. Le plateau se vida peu à peu, sans aucun commentaire de la part des joueurs. A part un : « Echec et mat » quand Lucasyne posa lentement sa pièce qui mettait le roi noir en échec.

Pas plus de commentaire, juste un petit sourire satisfait. Il avait vaincu Vadim sur son propre terrain, comment le Comte allait -il réagir? Lucasyne venait de gagner leur pari, il pouvait donc demander ce qu’il voulait à Vadim maintenant…

Mais que pouvait-il bien vouloir ?

Vadim considéra d’un œil critique l’échiquier devant lui. Il ne dit pas un mot mais le silence n’en devint pas lourd et pesant pour autant. Le visage de Lucasyne était beau lorsque un sourire satisfait, presque arrogant, venait s’y dessiner. Bien sûr lorsque il ne souriait pas, Lucas restait aussi un être magnifique, Vadim n’en doutait pas le moins du monde.

« Je te félicite »

La victoire avait été belle, la défaite restait honorable. Le comte leva les mains et applaudit avec lenteur la jolie prestation de son amant. Il prévoyait cependant déjà de s’entraîner encore plus aux échecs afin d’avoir l’occasion d’une revanche en sa faveur cette fois-ci.

« Je t’écoute »

Il se leva et se mit devant Lucas, le regardant droit dans les yeux avec un léger sourire qu’il serait presque possible de qualifier de fier. Sa main vint effleurer la joue de l’autre vampire, se délectant de sa douceur.

« Ordonne et j’obéirais »

Lucasyne laissa sa joue frotter dans la paume de la main de Vadim. Il en aurait presque fermé les yeux pour apprécier au mieux cette sensation. Mais le moment n’était pas aux câlins, il avait un souhait à faire…

Il se leva et fit face à Vadim, proche de lui mais pas au point de le coller. Sans un mot, il prit les mains de Vadim et le conduisit lentement jusqu’au canapé. Il l’y poussa pour que celui-ci s’y asseye et le regarda assit un instant.

Un petit sourire se dessina sur ses lèvres et il s’installa doucement à genoux par-dessus les cuisses de Vadim. Il se plaça le plus confortablement possible et l’embrassa doucement.

Les lèvres à quelques millimètres de celle de l’autre vampire, il murmura enfin sa demande.

« Aime-moi… »

Un baiser puis un autre murmure.

« A jamais. »

Vadim s’assit donc sur le canapé comme le lui commandait silencieusement Lucas. Il regardait son amant avec un amusement certain, attendant de voir ce qu’il allait se passer, ce que Lucasyne lui demanderait…

Le comte ne fut pas déçu. Puérile, naïve, mâture et désespérée à la foi. La demande se fit après un baiser et se conclue par un autre, comme timide et cachée derrière ces gestes d’affections. Et après, comme une prière. A jamais ?

Vadim ricana. Pauvre Lucas, pauvre, pauvre, pauvre petite chose là sur ses genoux, essayant de s’approprier ses lèvres, de quémander une éternelle tendresse. Eternelle.

« Idiot… »

De nouveau un ricanement, la main du vampire se perdit dans les cheveux de son cadet en une douce caresse malgré le dur propos qu’il venait de lancer. Oui, Lucas était un idiot, un sot, pour lui demander quelque chose que Vadim lui accordait déjà sans pourtant oser lui avouer.
Il l’embrassa.

Lucasyne devenait tendre, bien plus tendre tandis que son corps se prêtait au jeu de la séduction, essayant d’attirer le désir de Vadim. Que réclamait-il, de l’amour ? de l’attention ? Les deux à la fois ? Peut-être même de la violence…
Avec autorité, le comte saisit le visage de son amant dans ses mains. Il le possédait. Oui, il le possédait entièrement. Ses lèvres vinrent trouver celles de l’autre vampire avec une brutalité toute prédatrice.

« Bien sûr que je t’aime… »

Une phrase murmurée avec peine et tristesse, presque inaudible. Comme un souffle d’air, voir la bouche bouger. Entendre ?
De nouveau sceller leurs lèvres en un baiser. Mais ne pas le regarder dans les yeux, fuir son regard. Le fuir. Faire croire à un énième mensonge pour ne pas que Lucasyne comprenne que cette déclaration n’était que la stricte vérité.

Encore et toujours les tromperies. Les milliers de je t’aime devraient rester coincer dans la gorge de Vadim sans que son cadet n’ai une chance de les entendre un jour.

Un murmure, une parole à peine entendue, à peine devinée. Lucasyne n’y croyait pas, n’y croyait plus mais espérait pouvoir y croire cette fois-ci.
Vadim avait le regard fuyant… Expression si rare chez cet homme si fier.

« Aime-moi… Encore et encore… » Lui souffla-t-il à nouveau à l’oreille avant de se mettre à la mordiller.

Ses mains glissèrent sur les flancs de l’autre vampire et remontèrent pour ouvrir doucement la chemise, bouton par bouton, déposant ses lèvres sur chaque morceau de peau claire dévoilée.

« Ne pense qu’à moi… N’aime que moi… »

Il murmurait ces ordres à mesure qu’il déshabillait son amant. Requêtes, Supplications, ses mots étaient coincés dans sa gorges, refusant de montrer au grand jour sa faiblesse face à cet homme qu’il aimait tant.

Vadim prit avec fermeté le visage de Lucas entre ses doigts pour l’amener à la hauteur du sien et l’embrasser. Un baiser brutal, violent. Les demandes –ordres ?- de Lucasyne l’effrayaient, le terrorisaient. Pouvait-on demander cela à quelqu’un ? Si il acceptait, ce serait prouver sa dépendance face à l’autre homme.

« Mes pensées sont obscures et remplies de vices, et pourtant tu voudrait les occuper. Mon amour est violence et douleur mais malgré tout tu voudrais continuer à en être marqué ? »

A nouveau, le comte eut un rire amer tandis qu’il observait son cadet avec une douloureuse tendresse. Sa main traça avec légèreté la ligne de la jugulaire sur le cou de l’autre vampire.

« Lucasyne, mon pauvre Lucasyne…tu t’enchaînes toi même avec cette promesse que tu demandes. Dis le que tu m’aimes… »

Mais de toute manière, Vadim l’embrassa à nouveau. Presque pour l’empêcher de parler. Il vint ensuite lui mordiller l’oreille avant d’y murmurer quelques mots.

« Par pitié, arrête de m’aguicher cependant, je veux te traiter comme un prince et non te prendre comme une bête. »

Lucasyne sourit devant la violence de la réaction de Vadim. C’était exactement ce à quoi il s’était attendu… Vadim et ses mensonges, Vadim et ses non-dits… Peut-être qu’ainsi il pourrait enfin le lui faire dire… Si toutefois l’autre vampire ressentait vraiment quelque chose pour lui… Mais il avait décidé depuis peu de ne plus se tracasser pour cela… Il arrivait à garder Vadim à ses côtés et cela lui suffisait pour l’instant… pour l’instant… Mais peut-être bien que cette promesse que Vadim devrait tenir marcherait.

Il sourit un peu plus aux demandes du Comte. Vadim laissait transparaître certaines faiblesses en sa présence, et cela le ravissait. Pour enfoncer un peu plus le clou, il décida d’aller murmurer quelques mots à l’oreille de son amant. Des mots qu’il n’avait jamais vraiment prononcés avant…

« Bien sûr que je t’aime… » Susurra-t-il en écho aux mots qu’il avait cru entendre auparavant. « Prince ou simple bête, je suis à toi… »

Vadim essaya de rester le plus neutre possible. Il dut faire un terrible effort de volonté pour empêcher ses mains de se crisper sur les bras de Lucas pour mieux l’attirer jusqu’à lui.
Moquerie ? Provocation ? Véritable déclaration ? Peut-être tout cela à la fois. Comment ? Comment faire pour garder le contrôle ?

« A moi… »

Le comte se sentit sourire. Mystérieusement, un grand sentiment d’apaisement le saisit. D’une main cajoleuse, il alla caresser le visage de son amant. Cependant, il n’ajouterait rien d’autre de plus. Des déclarations ? Non, pas encore. Attendre, toujours attendre.
Mais qu’il était dur de trouver le courage d’en faire !

« Oui…rien qu’à moi. Ma superbe bête, mon prince… »

Des mots que l’on ne peut empêcher de franchir les lèvres. L’homme soupira. Cependant, il était satisfait. En paix. Envie de serrer Lucas contre lui. De le serrer, de ne plus jamais le lâcher. Mais il serait dommage d’enfermer une si jolie chose n’est-ce pas ?

« Mon prince… »

Imaginer Lucasyne avec une couronne était une occupation plaisante. L’imaginer nue sur des fourrures d’hermine l’était tout autant.

Lucasyne sourit encore aux déclarations de son Comte.

"Oui, à toi... Entièrement à toi."

Et il l'embrassa à nouveau, pour faire taire ces paroles maintenant inutiles. Ils s'appartenaient tous deux et s'appartiendraient à jamais. Si Vadim accomplissait sa promesse.
Lucasyne se souvenait encore de la trahison de son amant et de la douleur qu'il avait ressenti. Mais il s'était promis de ne plus jamais la ressentir. Vadim était à lui et si jamais il lui arrivait encore de le trahir, il ne se laisserait pas briser et reviendrait le hanter encore et encore, jusqu'à ce que le Comte se rende compte que Lucasyne était le seul dont il avait besoin.
Il était prêt à brûler tout le château et ses habitants pour avoir Vadim à lui seul. Sans aucun remord qui ne le hanterait ensuite.

Il rompit le baiser mais laissa ses lèvres à quelques millimètres de celles de Vadim pour murmurer :

"Prends-moi... Marque-moi... Je veux être à toi, et uniquement à toi..."

Pourquoi ce désir de lui appartenir, alors que tant de fois Vadim l’avait tordu et blessé ? Etait-ce de la folie ou de l’amour ? Pourquoi, pourquoi Lucasyne n’aspirait-il à rien d’autre qu’à l’étreinte de ses bras ? Qu’à la chaleur de son corps ? Le marquer, comment ? Il y avait eu ce tatouage. Il y avait eu l’abandon…
La main qui caresse la joue, mais la douceur n’est qu’un leurre, tant de violence peut couver au bout des doigts…

« Un jour, peut-être que je trouverais comment t’arracher les ailes le plus douloureusement possible, car il n’y a que par la souffrance que l’on s’attache aux autres… »

Mais l’heure n’est pas à la tendre violence. Doucement, Vadim le repoussa. Lucasyne, le fier Lucasyne qui était pourtant si prompt à s’agenouiller devant lui…Le comte se leva du canapé, alors une question venue d’on ne sais-où s’échappa de sa gorge

« Si je chute, seras-tu là ? »

Sera-t-il là pour le pousser ou bien, au contraire, tendrait-il sa main pour le rattraper ? A moins qu’il ne fasse que regarder, spectateur puissant et impuissant.

« Seras-tu là ? »

Une demande, une supplique, une question désespérée qui se veut ordre. Par cela, Vadim incluait bien des choses. Notamment le fait qu’il ne le chasserait pas. Peut-être pas.
Reste près de moi….

Lucasyne se laissa repousser sans rien dire. Il ne comprenait pas mais qu’y avait-il à comprendre avec Vadim ? Peu de chose, bien peu de chose… Mais il lui faisait confiance et il eut raison.
La phrase de son amant lui fit fermer les yeux et frémir d’anticipation. Oui, il désirait cette violence, il désirait être violenté par Vadim, être attaché à lui que ce soit physiquement ou mentalement.

Il rouvrit brusquement les paupières à la prochaine question. Celle-là ne sonnait pas bon… Elle sonnait si faible, si impuissante… Si peu Vadim.

Lucasyne s’approcha lentement du large dos du Comte et passa ses bras autour de son torse pour se blottir contre lui.

« Je serai là… »

Il posa sa joue contre le dos puissant et répéta une nouvelle fois sa réponse.

« Je serai toujours là… »

« Si je le souhaite, Lucasyne….si je le souhaite, tu seras là »

Lucas, blotti contre lui, qui se voulait source de soutien, de réconfort tandis que lui, Vadim, n’était que source de malheurs, pour son amant. Mais ni l’un ni l’autre ne s’en plaignait, alors pourquoi changer les choses ? Oui, ce corps chaud qu’il pouvait sentir, cette âme malléable et aimante qui acceptait tout de lui…
Le comte se retourna alors pour faire face à son amant. S’il le souhaitait, il pouvait le dévorer, là, maintenant, le vider de son sang, lui arracher le cœur pour ensuite le piétiner. Oui, il pouvait faire tout ça…

« Tant que ta présence sera tolérée, tant que je feindrais cette promesse d’aimer, tant que je ne chuterais pas… »

Et son ombre s’agrandissait, s’agrandissait sur l’autre vampire tandis que l’homme penchait sa tête sur le cou si attirant. Effluve de peau, odeur de sang….

« Si fragile…. »

Il n’avait que ses bras pour retenir Lucasyne, était-ce suffisant ? Que se passerait-il si, un jour, son amant se refusait à lui ? Encore une fois, Vadim maudit son esprit, trop prompt à partir dans diverses élucubrations. Là, maintenant, il ne voulait qu’une chose. Une seule et uique chose…

Et les dents tranchèrent la peau, et les dents s’enfoncèrent dans le cou…
Le sang dans sa gorge, boire encore et encore…

Lucasyne ferma les yeux sous les paroles de son amant.
Seulement si Vadim voulait de lui à ses côtés… Seulement.
Il avait déjà vécu ce que cette phrase impliquait et, bizarrement, il était prêt à le revivre. Sauf que cette fois-ci, il n’attendrait pas qu’une invitation ne le laisse revenir. Il reviendrait, et cette fois-ci, il arracherait vraiment le cœur de cette poitrine forte contre laquelle il aimait tant se blottir. Il l’arracherait et le mettrait dans un flacon de verre, souvenir éternel de celui qu’il aimait, qu’il aimerait à jamais, même à travers la mort.

Quand les dents traversèrent sa peau, il ne s’accrocha qu’un peu plus à lui, accueillant cette douleur avec un sentiment proche de la joie. Il sentait le sang couler hors de son corps, il savait qu’il coulait jusque dans la gorge de son amant, que ce liquide de vie permettrait à celui qu’il aimait d’être plus fort, d’être plus vivant lui-même.
Il aurait volontiers accueilli la mort en cet instant présent. Mort dans les bras de son homme, mort dans les bras de son amant.
Mais avant d’accepter cette mort, il laissa quelques mots échapper de ses lèvres. Des mots qu’il avait déjà tant dit mais qu’il trouvait ne pas encore dire assez.

« Je t’aime Vadim… »