Le prince charmant

Etant enfant, Alessa, comme toute petite fille, avait rêvé du prince charmant, qui, s’en rendant compte en grandissant, ne viendrait probablement jamais. Dans ce monde où évoluait la jeune vampire, les hommes aimaient les hommes, les femmes aimaient les femmes et rares étaient les exceptions de normalité dans ce château aux murs clos. Bien souvent, il n’y avait que les humains pour s’aimer comme ça, et elle, n’était pas humaine.
Son corps grandissait sans elle, son esprit se détachait de l’idée de l’Amour avec un grand A avec une froideur toute sarcastique. La mesquinerie prit la place de l’espoir et elle s’y perdit longtemps, devenant adolescente, délaissant les jeux encore enfantins de sa sœur et l’affection toute paternelle d’Edward pour aller ennuyer et moquer les couples qu’elle détestait tant.
Elle ne croyait plus au prince charmant, ni à la possibilité que quelqu’un pourrait l’aimer Elle, en tant que femme à part entière et elle s’assombrit.

Le jour où Lionel passa les grilles du château de Morcef, il ne s’attendait pas à être accueilli par une jeune vampire aux yeux si noirs. Sa première impression fut celle de voir un oiseau en cage qui en voulait au monde entier pour s’être fait enfermer. Avec un sourire qui ne se lisait que dans ses yeux, caché sous l’étoffe de son éternelle écharpe, il avait gentiment lissé les cheveux d’Alessa, si noirs, si doux, si féminins. Et la cage sembla s’entrouvrir légèrement. Les beaux yeux s’agrandirent de surprise et la jeune fille s’échappa de l’étrange caresse pour éviter les brûlures d’un feu dont elle avait oublié l’existence, loin dans ses livres de contes.

Doucement, sans s’en apercevoir, Alessa fut entourée d’un monde de douceur, protégée, non plus par son père – qui en était au désespoir – mais par un gentilhomme qui était venu de nulle part et dont on ne savait s’il comptait repartir un jour. Vampire, mais pas comme elle, vampire comme son « père » Edward, mordu. Mais Lionel parlait peu de lui, voire parlait peu tout court. La majorité de ce qu’il disait – ou aurait voulu dire – se lisait, dans ses livres ou dans ses yeux, dans l’affection qu’il mettait dans ses gestes quand il lui apprenait l’équitation ou l’aidait pendant son service, dans les légers rires qui lui échappaient quand elle disait une bêtise, puis plus tard, dans les lettres qu’il glissait sous la porte de sa chambre. Mots doux, compliments, rendez-vous secrets. Car dans tous les contes de fées, la princesse et le prince rencontrent des difficultés pour s’aimer et doivent le faire en secret, ne fut-ce que dans le premier temps.

Et, bon prince qu’il était, Lionel rendait toujours à Edward sa fille intacte mais légèrement plus femme. Baisers sur les doigts, baisers sur le front ou dans les cheveux, baisers timidement volés au détour d’un couloir, baisers secrets et rougissants, chastes étreintes mais jamais de geste déplacé ou de violence malvenue.

Bientôt, Alessa n’eut plus peur de grandir, et, au contraire, l’appela de ses vœux. Grandir pour plaire à son prince, et, un jour, avoir la permission de son père pour rester avec lui et devenir reine…